Carne Neuf années heureuses sur les territoires siciliens. Bonheur cueilli aux extrémités des branches d'arbres, fruits croqués à pleines dents, sourires encore présents sur les lèvres. L'usure du temps et le deuil portés, déjà, non pas comme des fardeaux, mais comme des vieux copains, ont déjà pris leur place sur les épaules voûtées du gamin. Existence dans le silence, la patience, l'attente d'une passion qui se passe de mots puisque l'enfant est né sans voix. Le feu s'embrase quand ils partent pour Rome. Là bas, Roni s'éprend des rues, des mosaïques, des fontaines, des éphèbes aux belles mains. Il découvre un paradis qu'il ne connaissait pas, et puis tout déchante. Univers violent, ici la mafia ne les protège plus et il n'a jamais appris à se défendre. Roni devient triste, fataliste. Ses deux sœurs meurent, puis sa tante, puis sa mère. Hécatombe dont il se sent responsable, lui qui avait des poings mais pas assez de courage pour les défendre de ces cerbères dont il a juré la mort. La dureté de la rue forge son corps, il apprend la seule loi valable par ici : chacun pour soi. Les semaines sont rythmées par les messes le dimanche et les bagarres les autres jours. Prières adressées à un Dieu quelconque, s'il existait, il vengerait les femmes que ces monstres ont violentées. Les plaies s'incrustent dans sa cheville, à chaque décès il se promet que c'est le dernier. Rien ne change. Pourtant, à l'aube de ses dix sept ans, l'année de la mort de sa grand-mère, il n'est plus seul. Cette fois la passion tient, féroce, la chair s'amourache, en quête d'amour, de réconfort. Léopold le hante, Léopold l'aime. Les deux garçons découvrent le plaisir et se promettent des merveilles. Roni vit chaque jour pour se consumer. Deux ans qu'ils se rejoignent chaque nuit, font l'amour sauvagement ou tout doucement, prennent les cheveux de l'autre entre les doigts et rient d'eux-même. Roni aime, Roni pardonne le sang sur les mains de Léopold, ses fugues, l'opium. Roni ne dit rien, parce qu'il ne peut pas et que cet amour se passe de mots. Alors il ne voit rien arriver, se prend tout en pleine figure. Dieu s'il existe lui accorde l'amour pour mieux lui retirer ensuite.

Possession Deux ans que la mort de son aimé le hante. Qu'il se sent responsable. Deux ans qu'il ne se pardonne pas son inconscience, son impuissance. Roni vit comme un fantôme, n'arrive plus à pleurer quand son frère meurt, d'une maladie qui le fait tousser du sang. Roni erre dans les quartiers mal famés avec un spleen contagieux. Il sent l'optimisme le quitter et, bêtement, rejette la faute sur Dieu. S'il existait il aurait fait quelque chose. Il aurait entendu ses prières, vu ses yeux qui demandaient pardon, ses mains qui se raccrochent aux chaises pour ne pas tomber. Rien ne change. Il n'aura bientôt plus de place sur la cheville. Vingt et un. Vingt et un. Où sont ces visages qu'il aimait tant, disparus ? Pourquoi ? Questions qui tournent en boucle, le font pleurer (un peu beaucoup). Puis un jour la vie, puisque c'est une chienne, le fait tousser lui aussi. Couleur rouge. Lentement, Roni renonce à vivre. Il se laisse gangrener malgré le désespoir du son père, les efforts du médecin. Il n'a plus de raison de vivre s'il n'a plus rien à faire. S'il ne peut sauver les hommes de ces vipères. S'il ne peut pas vivre heureux. C'est là que Dieu, ou un ange, l'entend. Roni ne veut plus de son corps car il sème le malheur, H lui, veut d'un corps pour construire le bonheur. Roni implore pardon, une deuxième chance. Quand il se relève, les lèvres ensanglantées, au bord de l'agonie, c'est H qui ouvre les yeux et sent le vent tourner.

Au début c'est étrange. Il a déjà vécu cette sensation, il y a longtemps. Le cœur bat déjà, pas besoin de remettre la machine en marche. Pourtant ici les engrenages sont rouillés mais ça il connaît, les corps un peu abîmés. Il se souvient qu'il ne peut pas soigner. Il saisit quelques bribes, les raccroche aux siennes. Roni. Il s'appelle Roni, et il a aimé. Son père vit encore mais H perçoit sa détresse. Tout le monde est mort autour de lui, il veut tuer ces hommes. Non ! Il ne veut pas les tuer ! Il ne peut pas ! C'est contraire à ses fonctions. Léopold, s'appelait son aimé. Il aimait l'opium et les rixes. Mais quand ils étaient tous les deux il était doux. Il était bon. Il a mal à la tête mais il ne sait pas si c'est à cause de l'incarnation ou de la maladie. Il se lève et, péniblement, endosse sa nouvelle vie.